Parole de l’enfant, écouter pour agir

Les équipes éducatives d’ACTION ENFANCE sont attentives à recueillir et prendre en compte la parole des enfants et adolescents dans les décisions qui les concernent, dans les émotions qui les animent. C’est même, aujourd’hui, une démarche claire, déployée dans l’ensemble des établissements de la Fondation, pour faciliter le recueil de cette parole au quotidien. Car considérer l’avis d’un enfant l’aide à grandir. Tout simplement.

« Recueillir la parole d’un enfant est une mission délicate, exigeante et porteuse d’espoir », note Gautier Arnaud-Melchiorre dans le préambule de son rapport « À (h)auteur d’enfants » inspiré de la mission que lui a confiée le secrétaire d’État à la Protection de l’enfance, Adrien Taquet. Ancien enfant placé, aujourd’hui aux portes de l’École nationale de la magistrature, Gautier avait, par son parcours et sa sensibilité aux autres, bien des qualités pour se charger de cette mission. Écouter un enfant et entendre ce qu’il veut dire n’est pas si simple. Comment le mettre en confiance et l’aider à s’exprimer sans aller au-delà de ce qu’il formule lui-même ? Comment libérer la parole pour donner un sentiment de sécurité et de bienêtre ? Comment faire comprendre à l’enfant qu’il n’est pas responsable de la décision qui va être prise ? « Le recueil de la parole de l’enfant est central dans notre travail au quotidien et dans notre accompagnement », assure Suzy Lepley, éducatrice familiale au Village d’Enfants et d’Adolescents de Chinon.

Donner à l’enfant du pouvoir sur sa vie

En Protection de l’enfance, la vie des enfants et des adolescents est rythmée par les audiences devant le juge. Au Village d’Enfants et d’Adolescents de Chinon, un entretien formel est réalisé tous les trois mois avec chaque enfant et adolescent pour dresser un portrait aussi fidèle que possible de sa situation et de ses aspirations. « Cela se passe dans le bureau, avec l’éducateur référent. Cela peut être une discussion assez libre si l’enfant est à l’aise pour parler, ou l’entretien peut être dirigé par des questions plus ciblées. Nous cherchons à savoir ce qu’il pense, ce qu’il comprend, ce qu’il souhaite, sur des sujets aussi divers que sa scolarité, sa santé, son histoire familiale, ses relations avec ses frères et sœurs, sa vie sociale, sa compréhension du placement, etc. », poursuit Suzy Lepley. Il a connaissance de tout ce qui le concerne directement. « Cela permet de rendre l’enfant acteur de son placement et de son projet, afin qu’il réalise que nous prenons en compte sa parole et que nous la portons. » Même si la figure du juge est assez prégnante dans l’esprit de l’enfant, le but de ce travail est aussi de l’amener à comprendre qu’il occupe la place centrale dans l’audience liée à sa situation. La décision ne sera peut-être pas celle qu’il espère, mais il aura pu formuler ses souhaits, ses demandes précises. Et l’équipe éducative d’ACTION ENFANCE les relaiera par écrit auprès de l’ASE et du juge. Parfois, l’enfant porte lui-même ses demandes en audience. « Au final, et les enfants le savent bien, c’est le juge qui arbitre. Nous leur expliquons ce que nous avons écrit dans nos conclusions. Il nous arrive aussi de dire à un enfant que nous avons bien noté qu’il souhaitait, par exemple, retourner chez lui, mais que, pour telle raison, ce n’est pas notre recommandation. Recueillir son avis ne veut pas dire que c’est lui qui décide », précise Sandra Macé, directrice du Village d’Enfants et d’Adolescents d’Amilly.

Sandra Macé Directrice du Village d’Enfants et d’Adolescents d’Amilly

Ce qui manque souvent aux enfants que l’on accueille, ce sont les compétences psychosociales du « vivre ensemble » pour réagir face à des situations conflictuelles.

Il est souvent dit que l’on décide trop à la place des enfants protégés. Il est en effet complexe de faire la part des choses entre l’écoute et l’accueil des besoins et des envies, d’une part, ce que l’on projette pour eux, d’autre part et, enfin, la réalité de leur placement. À Chinon, par exemple, un classeur est dédié à chaque enfant qui peut le consulter librement, y ajouter des dessins, des petits mots. C’est son projet. Au Village d’Enfants et d’Adolescents d’Amboise, un travail approfondi est réalisé avec les grands adolescents, autour de la co-construction de leur projet de vie. « On se rend compte que les enfants protégés l’ont tellement été que l’on a trop souvent décidé pour eux, parce que cela va plus vite ou que l’on croit savoir ce qui est bon pour eux », indique Sophie Perrier, directrice adjointe de la direction Innovation, appui et qualité. « C’est vrai, notamment pour des questions d’orientation scolaire ou professionnelle. Certains anciens enfants accueillis ont pu nous dire qu’ils regrettaient de ne pas avoir été écoutés sur le choix d’aller en foyer ou de suivre une mère qui déménage. ACTION+ nous tend le miroir de notre action en Protection de l’enfance », conclut-elle.

Il faut non seulement libérer la parole mais également s’assurer que cette parole sera transmise.

Les rapports publiés par la commission Sauvé et par Édouard Durand établissent que 9 enfants sur 10 parlent lorsqu’ils ont été victimes de mauvais traitements, mais que seulement 4 cas sur 10 sont rapportés par les adultes qui en ont eu connaissance. Il faut donc non seulement libérer la parole mais également s’assurer que cette parole sera transmise. C’est toute la question de la formation des éducateurs mais aussi, plus globalement, de la sensibilisation des adultes. Tout un volet de la formation d’éducateurs familiaux de la Fondation est consacré à l’écoute de la parole des enfants. Comment la recevoir, la relayer auprès des institutions compétentes. Il n’y a rien de pire qu’une parole qui reste lettre morte. Un enfant ne parle que lorsqu’il est en confiance et le Village joue très bien ce rôle de sécurisation. Mais ce n’est pas parce qu’il a parlé qu’il ne souffre plus. Il faut avoir les bons relais, du côté du corps médical, de la psychiatrie et de la justice.

Lui permettre d’agir sur son quotidien

Avoir du pouvoir sur sa vie, c’est aussi avoir son mot à dire sur sa vie quotidienne. Dans les Villages, de nombreux temps formels et informels sont prévus pour permettre aux enfants de faire part de leurs souhaits ou de dysfonctionnements. Des échanges dans le salon au Conseil de vie sociale en passant par des réunions de maison, de nombreuses possibilités d’agir sur leur quotidien sont offertes aux enfants en différentes occasions. À la Fondation, la plupart des maisons ont leurs rituels, qui permettent aux enfants de proposer ce qu’ils voudraient faire le week-end, concernant les sorties, les menus… Dans certains Villages, comme à Amilly, des réunions de maison sont organisées à intervalles réguliers. « Ce sont des moments importants, où les enfants peuvent exprimer ce qu’ils désirent, ce qui leur plaît, ou ce qu’ils voudraient voir changer dans les règles de leur vie quotidienne en petit collectif. Des attentes qui s’adressent tant aux éducateurs familiaux qu’aux autres enfants de la maisonnée, d’ailleurs », note Sandra Macé qui envisage d’intégrer un tiers à ces réunions de maison, chef de service ou psychologue. La discipline positive, ou éducation bienveillante, fait partie du projet d’établissement du Village d’Enfants et d’Adolescents d’Amilly. Les éducateurs sont sensibilisés à l’idée que valoriser les choses positives sert le développement de l’enfant. Ils doivent également être capables de composer, comme d’accepter qu’une petite fille revienne sur le canapé du salon et prenne un livre pour se calmer alors qu’il serait l’heure d’aller au lit. « Cette méthode s’appuie sur les ressentis de l’enfant et ses propositions pour rechercher des solutions au problème. Elle est vraiment bénéfique et adaptée aux enfants que nous accueillons. Elle est aussi assez déroutante pour certains qui n’ont pas connu cela précédemment, ni dans leur famille dysfonctionnelle ou maltraitante, ni dans d’autres établissements de placement. » Les Conseils de vie sociale (CVS) sont l’occasion de donner la parole aux enfants sur leur cadre de vie et le fonctionnement global de leur Village. Les aires de jeux, l’aménagement des maisons, les règles y sont discutées en présence du directeur de l’établissement et de personnes extérieures (voir infographie ” Qu’est-ce qu’un Conseil de vie sociale ? ” ). S’il a été difficile de tenir ces CVS pendant ces derniers mois en raison de la crise sanitaire, la pratique est bien ancrée dans les établissements d’ACTION ENFANCE.

Être à l’écoute de son ressenti

Les éducatrices/teurs familiaux et plus globalement les équipes éducatives sont très attentifs aux émotions des enfants. Quand ils s’aperçoivent qu’un enfant ou un adolescent ne va pas bien, que ce soit au réveil, en pleine nuit ou au retour de l’école, l’un d’eux le prend à part pour essayer d’en savoir plus sur ce mal être. « Selon leur âge, ils parviennent plus ou moins bien à l’exprimer, ou s’ils l’expriment c’est par la colère, en répondant mal, en étant désagréable. C’est à nous de les aider à mettre des mots sur ces émotions », témoigne Camille de Coutures, éducatrice familiale au Village d’Enfants et d’Adolescents de Sablons. Pour les aider à reconnaître leurs émotions, avec ses collègues, elles utilisent un jeu qui donne des définitions simples, adaptées aux enfants. Pour un petit garçon qui les insulte chaque jour, elles ont fabriqué un coussin de la colère. « On l’a fait ensemble, il sait qu’il peut décharger sa colère et son répertoire de gros mots sur lui… plutôt que sur nous », dit Marie Rieublanc, éducatrice familiale dans cette maison. Avec sa sœur, également très explosive, c’est l’attention qu’on lui porte et les câlins qui l’aident à se calmer. Mais chez certains enfants, au contraire, le contact physique peut réactiver le traumatisme. D’où l’importance de bien connaître l’histoire de chacun et d’adapter son attitude. Il faut aussi pouvoir en reparler, plus tard, quand la situation est plus calme. Face à la tristesse, à la douleur, à la colère, à la jalousie , voire au sentiment de persécution ou d’abandon que peuvent nourrir certains enfants, les éducatrices/teurs familiaux peuvent aussi compter sur l’appui des psychologues. « Sur les six enfants de trois fratries que nous accueillons, les parents de deux fratries n’ont aucun droit de visite ni d’hébergement. L’une d’entre elles n’a aucun contact avec des personnes extérieures, jamais une lettre ou un appel », relève-t-elle. « Nous avons fait en sorte que chaque enfant de la maison ait un suivi psychologique. Et nous les encourageons à parler avec leur psychologue de ces émotions qui les envahissent », complète Camille de Coutures. Pour l’une de ces fratries, d’ailleurs, une demande de parrainage est en cours. « Ce sont des enfants qui ont vraiment besoin d’avoir des attaches à l’extérieur du Village », conclut Marie Rieublanc.