Le lien social : comment et avec qui créer des liens ?

Pour les enfants accueillis dans le cadre de la Protection de l’enfance, plus encore que pour tout autre, développer sa capacité à créer des liens, à faire confiance et à trouver des personnes ressources sont une nécessité absolue. Quand on vit en cachant une partie de son identité, en raison de son histoire familiale, par peur d’être jugé ou rejeté, et que l’on se heurte dans ses relations à toute une série d’obstacles administratifs, c’est compliqué de favoriser le lien social et d’être dans une relation authentique à l’autre. Difficile, dès lors de se faire de vrais amis, de créer un lien social avec des personnes sur lesquelles on peut réellement compter quand les difficultés se présentent, dans des situations précaires ou quand la solitude est trop pesante. Beaucoup de jeunes souffrent donc d’un sentiment de solitude.

Le capital social : un atout en sortie de placement

La Fondation ACTION ENFANCE a engagé une recherche-action* dédiée au capital social. Hypothèse de départ : les jeunes ayant tissé un lien social fort avec des personnes rencontrées au cours de leur existence et qu’ils peuvent mobiliser à la fin de leur placement s’en sortent mieux que ceux qui sont dépourvus de capital social suite à une rupture du lien social avec leurs proches. Ces derniers peuvent être plus souvent sujets à l’isolement et à la précarité. Et si le capital social acquis, les relations sociales construites durant l’enfance étaient la clé de l’autonomie des jeunes adultes sortant de l’Aide sociale à l’enfance ? « Les différentes trajectoires des jeunes que nous avons pu rencontrer au cours de nos enquêtes nous permettent d’affirmer que l’acquisition et le maintien d’un capital social durant la trajectoire de placement impactent positivement la fin du placement et ce moment particulier d’insertion et de passage à l’âge adulte. Trouver un emploi, un logement, être hébergé en cas de problème, trouver un bon médecin, agir face à une situation imprévue, régler un souci qui fait obstacle en prenant de la distance face à celui-ci, avoir des personnes avec qui échanger, qui peuvent conseiller ou à qui l’on peut donner des conseils sont autant d’exemples concrets permis par le capital social », souligne Aude Kerivel.

Pour le sociologue Serge Paugam

Chaque lien social apporte à la fois une forme de protection – on peut « compter sur » quelqu’un – et une forme de reconnaissance – on « compte pour » quelqu’un. Un groupe d’amis génère à la fois de la protection et de la reconnaissance : on peut compter sur une forme de solidarité au sein de son groupe d’amis et on a de l’affection pour eux. Selon lui, l’expression « compter sur » résume assez bien ce que l’individu peut espérer de sa relation aux autres et aux institutions en termes de protection, tandis que l’expression « compter pour » exprime l’attente, tout aussi vitale, de reconnaissance, d’avoir du prix aux yeux d’autrui, d’éprouver un sentiment d’appartenance. Dès lors, le sociologue considère comme isolée, voire précaire, une personne qui estime ne pas pouvoir compter sur quelqu’un, ne pas compter pour quelqu’un, ou qui juge que personne ne compte sur elle. Il élabore ainsi le concept de disqualification sociale, qui « renvoie au processus d’affaiblissement des liens de l’individu à la société au sens de la double perte de la protection et de la reconnaissance sociale. »

Fratrie et famille élargie : un aspect non négligeable du lien social

L’enquête s’est fortement intéressée à repérer des personnes autres que les parents ou les professionnels du Village d’Enfants et d’Adolescents qui, pour certains, deviennent de réels référents aux yeux des enfants. Concernant les adultes, ce sont, outre la famille élargie, les éducateurs sportifs, les parents d’amis, les enseignants et les amis de la famille qui constituent les ressources les mieux identifiées par les enfants et les jeunes dans leur vie sociale. Mais que l’on ne s’y trompe pas, 48 % des enfants et des jeunes disent qu’ils ont zéro ou une personne sur qui compter, et seulement 28 % peuvent citer quatre personnes ou plus. Au sein de la sphère familiale, les aînés des fratries sont souvent considérés comme « la personne sur qui compter » par leurs frères et sœurs plus jeunes. Depuis peu, les enquêtes sur les enfants placés en France s’intéressent aux adultes autres que les parents et les professionnels autour de l’enfant ou du jeune, et notamment aux figures parentales issues de la sphère familiale élargie. L’objectif : anticiper le moment où les jeunes quitteront l’établissement, les aider dans la création de liens sociaux ou dans leur intégration professionnelle par exemple pour qu’ils puissent devenir peu à peu des individus autonomes. La protection sociale des jeunes passe par la lutte contre l’isolement, contre l’exclusion et la création de lien social pour les aider à se construire et à s’épanouir.

Créer du lien social à l’extérieur du lieu d’accueil

L’une des révélations de la recherche-action sur le capital social est que c’est dans les interstices que sont le chemin de l’école à la maison, notamment, que se créent les amitiés d’école. Le fait de rentrer à pied avec un ami laisse l’opportunité d’une invitation à goûter et développe les rapports sociaux. De fil en aiguille, l’enfant rencontre les parents de ses camarades d’école, découvre un autre mode de vie, pourquoi pas des modèles parmi les frères et sœurs. 

Autre constat : une activité sportive ne produit réellement de lien qu’à partir d’un an de pratique. L’enquête a ainsi mis en lumière le rôle crucial, dans la constitution d’un capital social, des nuits passées à l’extérieur du Village d’Enfants et d’Adolescents. Il s’agit donc d’un point fondamental pour lutter contre l’isolement des jeunes et pour favoriser les nouveaux liens sociaux. Les invitations d’amis à passer la nuit chez eux témoignent d’un rapport de confiance et d’une proximité affective. Elles contribuent à maintenir l’expérience d’un quotidien dans un contexte dépourvu de toute institutionnalisation. C’est l’occasion pour l’enfant d’échanger et de faire connaissance avec les membres d’une famille, de découvrir leurs centres d’intérêt, leur métier, d’être soi-même l’objet d’une attention nouvelle. Cette chance de rompre l’isolement et de tisser des liens forts n’est pas donnée à tous. Ainsi, l’enquête a mis en évidence que 30 % des enfants n’ont passé aucune nuit hors de leur maison du Village ou hors collectivité, perdant de ce fait l’avantage de créer des liens avec d’autres enfants, jeunes ou adultes sur lesquels ils pourraient compter.

* « Et si le capital social acquis durant l’enfance était la clé de l’autonomie des jeunes adultes sortant de l’Aide sociale à l’enfance ? » Sous ce titre, ont été publiés les résultats de la recherche-action réalisée par un collectif de chercheurs en sciences sociales mené par Aude Kerivel, à l’initiative d’ACTION ENFANCE. En cherchant à objectiver et à évaluer les liens sociaux des enfants et des jeunes avec des pairs ou des adultes mais aussi leur capacité à créer des liens, c’est-à-dire leur habileté sociale, cette nouvelle étude sociologique constitue une réelle avancée en termes de connaissances. Elle produit également des outils – sociogrammes, fiches-actions – dont les professionnels d’ACTION ENFANCE peuvent se saisir pour enrichir les possibilités de liens extérieurs. Retrouvez cette étude ici.

Pourquoi le Village d’Enfants et d’Adolescents ?

Le modèle du Village d’Enfants et d’Adolescents fondé sur un cadre de vie de type familial et un quotidien partagé avec les éducateurs offre notamment un cadre de vie stable et à taille humaine aux enfants.