Se reconstruire par le sport et le jeu

Léa est une jeune gymnaste de 11 ans. Elle a pu continuer à pratiquer son sport favori au Village d’Enfants et d’Adolescents de Soissons et, plutôt douée, elle a débuté la compétition. Malone, Julia et leurs dix camarades des Villages de La Boisserelle, Cesson, Amilly et Clairefontaine ont participé à la 4e édition du
tournoi des Défenseurs de l’Enfance organisé par la CNAPE à Nice. Leur équipe s’est hissée en finale, devant plus de 200 enfants. Ryanna, Mani, Chems et Ismaël sont des joueurs aguerris de Pokémon, un jeu de cartes stratégique de renommée mondiale. Cette saison, Chems a atteint le plafond maximum de 260 points et rêve de se qualifier pour les championnats du monde à San Francisco. Le point commun entre tous ces enfants : la fierté liée à l’engagement, la persévérance, l’aboutissement des efforts. « Dans la relation éducative, quelque chose se joue : un adulte peut être fier de moi et je peux être un sujet positif à ses yeux. C’est ainsi que les enfants qui nous sont confiés peuvent grandir plus sereinement, dans une relation éducative et affective positive. Et qu’ils reprennent confiance en eux », analyse Hélène Guilbert, directrice du Village d’Enfants et d’Adolescents de Soissons.

Chems, 12 ans Village d’Enfants et d’Adolescents des Vignes

Le Club Pokemon me fait vivre une expérience extraordinaire. Grâce à mes résultats dans le concours français, j’ai pu participer à un gros tournoi européen à Stockholm. J’y suis allé avec Vincent, mon éducateur. C’était incroyable ! Et si je fais de bonnes performances la saison prochaine, je pourrai peut-être me qualifier pour le championnat du monde à San Francisco l’an prochain. C’est mon rêve!

Le sport, facteur de fierté

À chaque rentrée scolaire, les enfants et les jeunes accueillis à la Fondation sont encouragés à s’inscrire dans les clubs de la ville et choisissent librement le sport qu’ils veulent pratiquer. La plupart des enfants et des jeunes accueillis dans les Villages ACTION ENFANCE sont inscrits à une activité sportive. Si le foot et la danse figurent encore souvent en tête des souhaits, la ferveur autour des Jeux Olympiques de Paris a élargi les horizons. Après avoir regardé à la télévision et parfois même assisté à des compétitions,
ils ont à présent envie de s’inscrire au ping-pong, à l’escrime ou à la natation… Merci Léon Marchand !
La Fondation a aussi son grand rendez-vous annuel avec les journées interVillages auxquelles participent quelque 200 à 300 enfants et salariés venus de tous les établissements de la Fondation.

Elles mêlent jeux d’adresse, de réflexion et de coordination, parties de bubble foot ou autre sport en équipe, afin que le plus grand nombre, sportif ou non, y prenne plaisir. « Tous les enfants aiment la compétition. Mais ici on se respecte mutuellement. C’est une belle valeur que l’on transmet aux enfants à travers ces rencontres », commente Hélène Guilbert, qui a organisé ces journées en 2022 avec le concours de toute l’équipe du Village de Soissons. Ce type d’événement fédère et resserre les liens : entre les enfants qui apprennent à se connaître, entre les enfants et les éducateurs qui se découvrent sous un nouveau jour, entre les équipes de la Fondation. Les journées interVillages sont également l’occasion de solliciter les partenaires et de faire vivre le réseau autour des enfants. « C’est intense, c’est beaucoup de logistique et d’organisation. Mais voir tous ces enfants heureux, c’est un beau retour sur investissement !»

Bruno Rime Médecin, secrétaire du conseil d’administration d’ACTION ENFANCE, président de la commission éducative et sociale

« Le sport est, dans la majorité des cas, bénéfique pour l’enfant et l’adolescent, à la fois pour le dépassement de soi, leur épanouissement et leur relation aux autres. Nous sommes vigilants à la Fondation à ce que chaque enfant et adolescent que nous accueillons puisse pratiquer l’activité sportive qu’il souhaite, dans la mesure du possible. Il en va du développement du corps et de l’esprit. Nos Villages sont équipés de terrains multisports, de foot, de basket. Les éducatrices/teurs qui ont une fibre sportive développée n’hésitent pas à partager leur passion avec les jeunes dont ils s’occupent. Certaines activités sont très accessibles, comme la course à pied ou le yoga. Le sport permet de se réapproprier son corps. À cet égard, il peut être thérapeutique pour les enfants et les adolescents que nous accueillons. Sports et jeux ont ceci en commun qu’ils favorisent les interactions sociales entre pairs et avec des adultes. Les jeux de société notamment ont un effet positif sur le développement cérébral et psychique, sur le langage, la réflexion. Nous sommes extrêmement attentifs en revanche concernant les jeux vidéo dont les contenus sont parfois inadaptés et peuvent créer isolement et addictions. Le jeu et le sport doivent rester des vecteurs sains de lien social.

Un pas après l’autre

S’il est acquis que le sport se pare de nombreuses vertus – concentration, attention, motivation, confiance en soi, gestion des émotions – il prend une dimension encore plus importante lorsqu’il concerne des enfants et des jeunes qui ont été délaissés, maltraités, violentés. Leur vécu dramatique leur a fait perdre confiance en l’autre, confiance et estime d’eux-mêmes. Ils ont également souvent perdu la notion de leur schéma corporel ou le respect de leur corps. Grâce à la mise en mouvement, à la dynamique qui s’enclenche au travers d’une activité sportive, ils peuvent se réapproprier leur corps. Pratiquer leur sport favori, marcher en forêt, randonner à vélo, courir dans le quartier ou faire des parties improvisées de basket dans le jardin du Village : tout est bon pour remobiliser le corps et donner à l’esprit un espace de liberté. La compétition est rarement le but. « Ce qui m’intéresse, énonce William Roussel, référent ACTION+, éducateur spécialisé, c’est qu’ils prennent conscience de leur corps. Le sport amène à s’intéresser à sa nourriture, à son sommeil. Il est indissociable de l’hygiène de vie. Sportif moi-même, j’utilise le sport comme médiation, notamment pour les jeunes en rupture avec la société. » Il accompagne notamment une jeune femme qui a été victime de violences sexuelles et un jeune homme qui a été SDF pendant quelques années. Avec eux, il marche pour libérer la parole et les émotions. « On passe par des pleurs, des rires, des moments d’espoir. On détricote pour mieux retricoter. Ils apprennent à accepter leur corps, à le mobiliser, à le respecter. Par ces petites actions, ils réapprennent à s’aimer, à retrouver le goût de la vie.

Léa, 11 ans Village d’Enfants et d’Adolescents de Soissons

Je fais de la gym depuis que je suis toute petite. Au Village, j’ai eu l’occasion de continuer, d’abord dans un groupe loisirs, puis dans le groupe compétition. J’ai débuté en compétition il y a quelques semaines. On est arrivés derniers, mais cela s’explique. Je suis prête pour la suite ! Je me sens bien entourée. »

Et parfois, la grande aventure !

Les enfants et les jeunes accueillis en Protection de l’enfance ont besoin de se recentrer, de penser à eux. C’est pourquoi la pratique d’un sport individuel présente autant d’intérêt que celle d’un sport collectif. Seul, on peut aller à son rythme, définir ses propres challenges, décider de se dépasser ou non. On a le temps de penser, de réfléchir à ce que l’on veut. Pour autant, il n’est pas de sport individuel où l’on ne travaille pas en équipe : il y a souvent un coach, des amis, qui encouragent et soutiennent. Pour Didier Philippe, coach sportif en athlétisme qui a eu l’occasion d’entraîner des jeunes du Village de Soissons, « ce qui transcende la pratique sportive, c’est le fait d’agir ensemble : savoir accepter les règles, pouvoir s’épanouir à travers une activité partagée et faire jouer la solidarité des enfants les uns envers les autres. Pendant le temps que dure la séance, je veille à ce que personne ne soit isolé, à ce que chacun progresse, à son rythme mais ensemble. Au fi l des mois et des années, des affinités se créent entre les jeunes du Village et ceux du club. Le sport est universel. » Parfois, la pratique sportive amène à vivre d’incroyables aventures, comme celle qui a conduit un groupe d’adolescents accueillis au Village de Soissons et quelques jeunes bénéficiaires du dispositif ACTION+ à parcourir 100 km dans le désert marocain. Toute pratique sportive n’implique pas un dépassement de soi aussi extrême. Mais il faut bouger pour avancer. Parce qu’il met en mouvement, reconnecte aux sensations, libère des émotions, génère du bien-être autant que de la confiance en soi, le sport, qu’il soit collectif ou individuel, se révèle un précieux appui pour se reconstruire. « Autre chose se joue dans les activités extrascolaires et notamment sportives, rappelle Hélène Guilbert. Cela montre qu’il y a des règles du jeu partout. Il faut arrêter le ballon au coup de sifflet, ne pas franchir la ligne et surtout…respecter ses coéquipiers autant que ses adversaires. Un cadre s’impose, mais il n’est porté ni par les éducateurs, ni par l’institution, ni par l’école, ce qui le rend beaucoup plus acceptable. Le sport, c’est avant tout un jeu. »

Éric, 18 ans Ancien enfant accueilli au Village d’Enfants et d’Adolescents de La Boissrelle

J’étais agent de sécurité évènementiel dans le cadre des JO de Paris. J’ai rencontré des personnes de cultures différentes, amélioré mon anglais et élargi mon réseau social. J’ai eu lac chance de rencontrer des sportifs et d’assister à des épreuves incroyables !

Jouer, une thérapie en soi

Le jeu est un élément fondamental dans l’apprentissage et le développement cognitif des enfants. Jeux de société, de rôle, de construction, résolution d’énigmes : adaptées à l’âge et au tempérament des enfants, toutes ces activités ludiques encouragent à explorer et apprendre. Ce faisant, elles révèlent des compétences académiques mais aussi sociales et émotionnelles. Comme l’indique Winnicott, pédiatre et psychanalyste britannique dont l’approche met l’accent sur l’importance du jeu et de l’attachement dans la construction psychique : « Il ne faut jamais oublier que jouer est une thérapie en soi ». Une expérience fondamentale pour la construction du moi. Dans les Villages d’Enfants et d’Adolescents, le jeu a toute sa place. Il prend parfois des tournures inattendues. C’est ainsi que quelques enfants du Village des Vignes se sont pris de passion pour les Pokémons. « Le projet est né en 2023 de l’envie d’un groupe d’enfants encouragés par notre directeur », raconte Vincent Succord-Rosier, éducateur familial. Il en rappelle succinctement les règles : Pokémon TCG (Trading Card Game) est un jeu de cartes stratégique où deux joueurs s’affrontent avec des « decks » composés de Pokémon, d’objets et d’énergies. « Ce jeu mêle stratégie, chance et gestion de ressources dans l’univers Pokémon », précise-t-il. Pour Fabien Garnier, directeur du Village des Vignes, la liste bienfaits de cette activité ludique est longue : « Le jeu Pokémon, tel que le pratique ce groupe d’enfants, contribue aux apprentissages scolaires : calcul mental, probabilité, lecture et compréhension de consignes, enrichissement du vocabulaire mais aussi ouverture au monde, culture et géographie. Il participe au développement de compétences cognitives, telles que la stratégie et la planification, la mémoire et l’attention, la patience. Parce qu’il permet de se sentir compétent dans un domaine spécifique, il renforce la confiance en soi. Et se pratiquant en groupe, c’est un outil au service de la socialisation et des compétences relationnelles. » Au prisme des besoins fondamentaux de l’enfant, le sport et le jeu cochent réellement toutes les cases.

Rihab Mestiri Psychologue au Village d’Enfants et d’Adolescents des Vignes

Il aide à s’affirmer, à apprendre des règles, à construire un lien social adapté. Chez certains enfants que nous accueillons, le jeu ne vient pas spontanément : sans sécurité affective interne, il est impossible de jouer, d’imaginer, d’explorer. Nous en parlons lors des réunions éducatives, car il est important que les éducatrices/teurs familiaux accompagnent l’enfant vers le jeu. Dans ma pratique, je privilégie le jeu dans sa forme libre, où l’enfant dicte ses propres règles. À partir d’un matériel que je lui fournis, il peut réinvestir son monde interne pour, peut-être, accéder à la symbolisation et passer à l’étape suivante : jouer et explorer son monde tout seul. En rejouant certaines scènes, telles qu’elles ont été inscrites dans son vécu, l’enfant peut progressivement leur donner sens, et ainsi amorcer un travail de transformation psychique. En tant que professionnels, nous pouvons l’aider par le jeu à sublimer ce vécu. À travers notre posture bienveillante, nous faisons en sorte qu’il s’approprie cet espace transitionnel et devienne acteur de ce qu’il vit. Par le jeu, il est reconnu en tant que sujet.

Pourquoi le Village d’Enfants et d’Adolescents ?

Le modèle du Village d’Enfants et d’Adolescents fondé sur un cadre de vie de type familial et un quotidien partagé avec les éducateurs offre notamment un cadre de vie stable et à taille humaine aux enfants.