Pour la Fondation, il ne fait aucun doute que le capital social (réseaux amicaux, familiaux, etc.) est une ressource dont les jeunes issus de la Protection de l’enfance sont insuffisamment dotés. Dès lors, comment réduire cette inégalité et faciliter l’insertion sociale et professionnelle des jeunes ? Différentes pistes sont expérimentées dans les Villages d’Enfants.

Dans notre société, il est naturel, lorsque l’on cherche un stage ou un emploi, un logement ou encore les coordonnées d’un médecin, de faire appel à ses amis, à sa famille ou à son entourage professionnel. Cette capacité à mobiliser ses relations, son réseau est à la base de ce que les sociologues nomment « le capital social ».
« Concrètement, le capital social s’incarne dans les liens sociaux qui ne sont pas marchands : les relations, les amis, les camarades, les figures d’attachement et d’identification, la famille, ceux qui éduquent », explique la sociologue Aude Kerivel. Comprendre ce qui permet à un jeune de réussir la transition vers sa vie d’adulte est un sujet de préoccupation pour la Fondation ACTION ENFANCE, qui a déjà mené une recherche-action sur le thème « Que sont devenus les anciens enfants placés ? ». Le CESE alerte sur le paradoxe que représente l’injonction à l’autonomie dès 18 ans faite à des jeunes qui ont le moins de ressources financières, de réseau familial et social, d’acquis scolaire, de solidité psychologique, voire de santé physique, et qui ont, de surcroît, vécu de multiples ruptures de liens. Et pourtant, l’accompagnement des jeunes placés vise l’objectif d’une autonomie rapide, rarement réalisable. Ne faudrait-il pas mieux anticiper et permettre aux enfants de se construire un capital social ?

Repenser la notion d’autonomie

Dans une nouvelle recherche-action centrée sur le capital social, le collectif de chercheurs dirigé par Aude Kerivel teste l’hypothèse suivante : et si le capital social de l’individu était au centre de l’autonomie qui ne se résumerait pas à sa capacité à faire seul un certain nombre d’actions ? Très concrète dans ses attendus, la recherche-action vise à produire de la connaissance utile aux professionnels d’ACTION ENFANCE. Elle repose sur le recueil de la parole de jeunes, actuellement placés, et d’anciens des Villages et Foyers d’ACTION ENFANCE, en vue de comprendre ce qui permet ou ne permet pas de se constituer ce capital social en situation de placement. Elle cherche également à recenser toutes les actions concrètes, les bonnes pratiques que les équipes éducatives ont développées dans les Villages, mais aussi les freins ou les contraintes… « Dans nos entretiens, nous voyons à quel point les liens sociaux peuvent se créer à des moments totalement anodins. Les jeunes expliquent que les amitiés d’école se font surtout en dehors de l’école, quand ils sont invités dans une famille – ce qui peut être compliqué en raison du transfert de responsabilité dont la Fondation est investie à l’égard du jeune. Mais encore plus simplement, le fait de rentrer seul à pied ou en transport, faire un arrêt pour goûter ou jouer à la console chez un ami est un moyen de créer un lien dense avec ces enfants, voire avec leur famille », observe Aude Kerivel.
Le stage de troisième constitue souvent la première occasion de tester son réseau. « J’étais jeune sapeur-pompier à l’époque, raconte Geoffroy, un ancien du Village d’Enfants d’Amboise. Et c’est quelqu’un des sapeurs-pompiers qui m’a trouvé un stage par son réseau. » Yassine, du Village d’Enfants de Soissons, qui était régulièrement reçu dans la famille de son meilleur ami, avait quant à lui été pris en stage par la mère de cet ami.

Faire des rencontres heureuses

Si beaucoup trop de jeunes sortent des dispositifs de la Protection de l’enfance sans bagages, sans ancrage ni contacts extérieurs, et pour certains, avec la volonté de quitter toute forme d’aide institutionnalisée, d’autres ont eu la chance de rencontrer des adultes qui ont marqué leur parcours, et pour qui ils comptent. « Nous avons un jeune qui a été embauché par un patron bienveillant qui lui a trouvé un logement, l’intègre dans sa vie de famille. Il lui offre une forme de tutorat pour ses premiers pas dans sa vie d’adulte », témoigne Hélène Guilbert, directrice du Village d’Enfants de Soissons. Mais il est difficile de ne compter que sur ces rencontres spontanées. C’est pourquoi plusieurs Villages de la Fondation ont noué depuis quelques années un partenariat avec l’association Louis Conlombant et ses « familles de vacances ». Les enfants sont accueillis dans une famille du sud-ouest de la France, chez qui ils passent des vacances simples et authentiques. « De véritables liens se créent. Les familles de vacances demandent des nouvelles de l’enfant pendant l’année, envoient une carte à son anniversaire, parfois un petit colis. C’est une relation simple, sans enjeu éducatif immédiat, un peu hors cadre, que les enfants apprécient vraiment », poursuit Hélène Guilbert. Les enfants qui profitent de ce dispositif ont en général entre 7 et 12 ans. « Mais un de nos jeunes, qui a dépassé l’âge, demande à retourner dans la famille où il séjourne depuis cinq ans. C’est une chance qu’il ait rencontré des personnes pour qui il compte. Pourquoi interromprions-nous une si belle relation ? » Jean-Michel Polge, président de l’association Louis Conlombant, précise : « Ce qui les aide, c’est qu’ils ont quelque part une famille qui ne les engage pas, une famille de vacances dans laquelle ils sont libres de retourner ou pas. »

Nadia Rabat témoigne de la belle rencontre qu’a faite le petit Franck, à qui les parents d’une éducatrice familiale se sont attachés et qui le prennent régulièrement le week-end ou pendant les vacances d’été. « Cet enfant, qui sollicite énormément d’attention, s’apaise peu à peu. Cette relation lui a permis d’évoluer », relève la directrice du Village d’Enfants de Bréviandes.

Ouvrir vers le monde extérieur, c’est aussi permettre à des bénévoles de participer à la vie des Villages. L’été dernier, quatre jeunes des Scouts et Guides de France de Savigny-sur-Orge ont passé deux semaines au Village d’Enfants de Monts-sur-Guesnes. Chaque jour, ils proposaient des animations, des jeux, des activités manuelles ou des sorties, selon un programme validé à l’avance par l’équipe éducative. « Cela a cassé le rythme, donné l’occasion d’autres rencontres. Les scouts partageaient pleinement la vie du Village, créant une vraie rencontre avec les enfants et les adolescents mais aussi avec l’équipe. Tout au long de l’année, ils ont pris et donné des nouvelles. Les enfants les réclament ! », raconte Maryse Péricat, la directrice. L’expérience sera renouvelée cet été avec deux groupes de scouts, le second étant composé de jeunes filles des Compagnons de Lamballe.

Quelqu’un sur qui compter

Pour permettre aux enfants de tisser des liens et d’avoir l’expérience de lieux et de modes de vie non collectifs, ACTION ENFANCE explore depuis plusieurs mois la possibilité de développer le parrainage. « À l’occasion de la rénovation du projet d’établissement de Soissons, nous avons fait le diagnostic que 70 % des enfants ne dorment jamais en dehors d’une collectivité », relève Hélène Guilbert. Les parrains, ce sont des adultes bienveillants qui souhaitent accueillir de temps à autre un jeune, pour partager des temps familiaux, faire découvrir une passion. C’est aussi simple que d’aller voir l’enfant jouer au foot ou de l’emmener au cinéma. Sans contraintes en termes de rythme ou de temps à passer, sans enjeu éducatif, mais avec la notion d’un engagement dans la durée pour que l’enfant ait quelqu’un sur qui compter à l’avenir. Ce sujet est porté par plusieurs Villages qui recherchent activement à établir des partenariats avec des associations de proximité. La Fondation a fait de cette réflexion un axe de travail. « Un réseau, c’est avoir autour de soi des personnes avec qui échanger, qui peuvent conseiller et aider à prendre du recul », complète Aude Kerivel. C’est sur ce constat que s’appuie ACTION+, nouvelle formule du Service de Suite destiné à renforcer la présence de la Fondation auprès des jeunes après leur départ d’ACTION ENFANCE.

À partir de cet été, les anciens des Villages et Foyers pourront solliciter une personne relais à proximité de l’établissement où ils ont grandi. La Fondation a en effet recruté six référents, pour couvrir les départements où elle est présente. « Le référent, c’est une nouvelle ressource pour les jeunes. C’est la personne sur laquelle ils peuvent s’appuyer après leur sortie de placement, celle qui va les aider dans leurs recherches d’un emploi ou d’un logement, les orienter vers les dispositifs de droit commun, avec un ancrage local fort. Les référents vont entretenir des relations avec les partenaires locaux pour rendre ces démarches plus opérantes. Ils pourront également travailler à la mise en lien avec d’autres jeunes de la Fondation », indique Sophie Perrier, à l’initiative de la nouvelle formule d’ACTION+. Dans l’esprit d’un réseau d’anciens, un réseau d’entraide.

Ce qu’il faut retenir

  • L’intuition que le capital social est clé pour rompre l’isolement et aider au passage à la vie d’adulte est forte au sein de la Fondation.
  • Elle lance une recherche-action pour comprendre ce qui permet aux enfants placés d’acquérir un capital social et identifier les bonnes pratiques déjà en œuvre dans les établissements.
  • Elle souhaite développer le parrainage qui permet à des adultes bienveillants de sortir les enfants de l’environnement collectif dans le but de créer une relation durable.

Retrouvez l’article complet dans notre magazine Grandir Ensemble n°102, p.4