D’abord comprendre la complexité de la fratrie

Dans les fratries accueillies par la Fondation ACTION ENFANCE, les contours de la fratrie ne sont pas toujours aisés à identifier. Une majorité significative de ces enfants s’inscrit dans des schémas familiaux complexes. Les mères ont eu des enfants avec plusieurs pères. Certains pères ont reconnu des enfants qui n’étaient pas biologiquement les leurs. Aussi, les enfants eux-mêmes ne savent pas toujours précisément quels sont les degrés de fraternité, les parents taisant parfois la vraie nature des filiations. Pour les équipes éducatives, comprendre le périmètre de la fratrie et de la famille est un exercice indispensable mais très complexe. En préalable à l’accueil d’une nouvelle fratrie, les responsables d’établissement posent un ensemble de questions. Est-ce que les liens fraternels préexistent ou cherche-t-on à les tisser Dans quelle dynamique relationnelle se situent les frères et sœurs ? Quel rôle l’équipe du Village pourra-t-elle jouer dans ces liens ? « Lorsque les enfants ont vécu ensemble, sous le même toit familial, nous pouvons considérer qu’il s’agit d’une fratrie, qu’ils soient frères et sœurs sur le plan biologique ou pas. Les accueillir ensemble dans nos Villages semble le plus pertinent », résume Marc Chabant. Parfois les fratries, dont les membres étaient précédemment placés dans des familles d’accueil ou établissements différents, sont regroupées à la faveur de la création d’un nouveau Village d’Enfants et d’Adolescents. La question du périmètre du regroupement fraternel se pose avec plus d’acuité : au nom de quoi accueille-t-on en fratrie ces enfants qui ont très peu vécu ensemble et ont eu peu de lien dans leur jeune existence ? « En les accueillant dans un Village, nous Accueillir une fratrie, c’est d’abord en comprendre les contours allons essayer de (re)construire des liens, de (re)fabriquer une fratrie. L’approche est plus théorique, mais elle part du principe que la fratrie est a priori un atout pour aider les enfants à grandir. À la Fondation, nous prônons qu’elle est, dans la grande majorité des cas, une ressource », explique Corinne Guidat. Accueillir ensemble les frères et sœurs dans le cas de regroupement de fratries n’est toutefois pas un dogme. Ainsi, lorsque des attachements forts se sont noués entre les enfants et leur ancienne famille d’accueil, ACTION ENFANCE n’ira pas à l’encontre de ces liens au nom du regroupement fraternel à tout prix.

Des temps de séparation qui s’avèrent bénéfiques

Certes, la loi incite à ne pas séparer les fratries pour ne pas ajouter une deuxième séparation à celle d’avec les parents. Il arrive néanmoins que face à la réalité de la situation, les frères et sœurs ne doivent pas être placés ensemble. Et notamment le fait que l’harmonie ne règne pas toujours au sein des fratries, quand ce ne sont pas des faits de violences intrafamiliales et/ou « intrafraternelles » qui ont mené au placement des enfants. « Le dysfonctionnement parental qui amène au placement pose aussi des questions de dysfonctionnement dans les fratries : mode relationnel violent, parentalisation des aînés. Les raisons pour lesquelles il est préférable d’accueillir en fratrie ou non, ne sont pas si simples et évidentes », poursuit Marc Chabant. Dans la fusion comme dans l’opposition, il est frappant de voir à quel point les relations sont exacerbées entre frères et sœurs accueillis dans les Villages d’ACTION ENFANCE. Comme si la vie ordinaire était disproportionnée dans toutes ses manifestations, d’affection comme indide violence. « Il faut comprendre que la fratrie devient une sorte de système projeté dans un environnement étranger, inconnu. En situation de placement, les parents ne peuvent plus remplir leur rôle de régulation ou seulement de façon lacunaire. Les fratries doivent donc s’auto-réguler », poursuit le directeur du développement. L’investissement de la fonction parentale au sein de la fratrie est alors très visible. Les parents chargent le grand frère de la sécurité, la sœur aînée assume les soins maternants. La violence entre frères et sœurs notamment, peut être déroutante pour les éducatrices/teurs familiaux qui doivent tenir le rôle de figure régulatrice. « C’est une complexité que les équipes éducatives doivent affronter », souligne Corinne Guidat.

Décrypter l’histoire de la fratrie

Il est également essentiel, pour l’équipe éducative, d’avoir une connaissance fine de l’histoire familiale : qu’est ce qui s’est déroulé avant le placement ? Dans quoi les enfants ont-ils été pris ? Quelle place avaient-ils ? Souvent, les membres d’une même fratrie n’ont pas connu la même histoire ni subi les mêmes traumatismes. À titre d’illustration, relatons le cas de cette fratrie de trois enfants arrivée il y a environ cinq ans au Village d’Enfants et d’Adolescents de La Boisserelle. Le plus jeune était le « mauvais objet » de la fratrie : c’est ainsi que la mère l’avait désigné aux yeux de ses frères parce que c’était lui qui avait dénoncé les maltraitances au sein du foyer familial. À leur arrivée, l’aîné tenait une place d’autorité à laquelle les deux plus petits étaient soumis et avait repris à son compte cette position à l’égard du plus jeune, développant un comportement sadique. Les équipes éducatives ont donc réparti les enfants dans des maisons différentes au sein du Village. « Ils éprouvaient une réelle affection les uns pour les autres, mais tellement empreinte des conflits familiaux et notamment de la figure maternelle omnipotente et inquiétante, que vivre ensemble était délétère », explique Sigrid Hervé, ancienne psychologue du Village. Un intense travail thérapeutique individuel a été mis en place, complété par une thérapie familiale. Cela a permis à chacun des frères de s’exprimer et d’être entendu. Le travail avec les parents, et notamment avec la mère, a conduit à faire évoluer les relations fraternelles et à réunir à nouveau les trois enfants dans la même maison. « Il se rejouait des conflits au sein du quotidien éducatif qui étaient invalidants pour chaque enfant. La séparation au sein du Village a été féconde. Chacun a pu se reposer psychiquement sans autre enjeu que d’être cet enfant qu’il avait envie d’être sur le moment. » Ce travail de plusieurs années a été un préalable indispensable pour renouer le lien entre les frères afin que celui-ci devienne un soutien pour chacun.

Grandir avec ses frères et soeurs : un besoin

Dans nos Villages d’Enfants et d’Adolescents, frères et sœurs grandissent ensemble sans risquer d’être séparés. Ce maintien des liens favorise leur reconstruction.